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Kémi Seba

Kémi Seba
Kémi Seba, militant suprémaciste noir, a été arrêté lundi 14 octobre par la DGSI pour suspicion d’intelligence avec une puissance étrangère, alors qu’il se trouvait à Paris. Il a depuis été relâché sans poursuites à ce stade. Figure de la lutte contre le « néocolonialisme français », il a été déchu de sa nationalité française en juillet dernier. Le profil de ce militant a depuis longtemps éveillé les intérêts de puissances étrangères, dont l’Azerbaïdjan. Une chose qui n’est pas due au hasard dans la stratégie de nuisance de Bakou envers la France. Kémi Seba : Du soutien russe au soutien azerbaïdjanais Au lendemain de l’arrestation du militant béninois, un organisme s’émeut particulièrement du sort de Kémi Seba. Il s’agit du Groupe d’Initiative de Bakou, une ONG azerbaïdjanaise dont la paternité est assumée directement par le Président Ilham Aliyev, qui a pour objectif affiché de lutter contre le « colonialisme français ». Ce groupe a notamment fait parler de lui après des conférences invitant les leaders des mouvements indépendantistes des outre-mer français. Un article du Projet Fox s’intéressait également aux ingérences de cette ONG dans la crise en Nouvelle-Calédonie en mai dernier. Moins de 24h après l’annonce officielle de l’arrestation de Kémi Seba, le Groupe d’Initiative de Bakou publie sur ses réseaux sociaux un montage « Free Kémi Seba » et un communiqué officiel, dans lequel la détention du militant est qualifiée « d’illégale » et de « grave atteinte aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux de l’homme ». Kémi Seba y est même présenté comme un « prisonnier politique ». Le communiqué de l’ONG sera relayé par de nombreuses agences et presse et médias azerbaïdjanais. Connu en France dès le début des années 2000 pour son activisme au profit du suprémacisme noir et de l’antisémitisme, choses pour lesquelles il sera condamné par la justice, Kémi Seba (de son vrai nom Stellio Gilles Robert Capo Chichi) a par la suite développé une importante communauté sur les réseaux sociaux. Il compte aujourd’hui notamment 1,3M d’abonnés sur sa page Facebook ou encore 280.000 abonnés sur X. Dans le même temps, Kémi Seba s’est étroitement rapproché de la Russie. En décembre 2017, il rencontre à Moscou Alexandre Douguine, influent idéologue nationaliste russe proche de Vladimir Poutine, jusqu’à en être surnommé « le cerveau ». Cet échange entre les deux hommes s’est conclu par une poignée de main fraternelle, immortalisée en photo. Les années suivantes, Kémi Seba a rencontré plusieurs officiels russes, et aurait également été invité par Evgueni Prigojine en Russie, au Soudan et en Libye. En 2023, Jeune Afrique révèle avec l’aide d’autres médias et collectifs comme All Eyes On Wagner que l’ancien chef de la PMC Wagner aurait soutenu financièrement Kémi Seba et son ONG Urgences panafricanistes avec plusieurs versements entre mai 2018 et juin 2019 pour un montant total de 440.000€. Le but de cette association : discréditer la France au Sahel et légitimer la présence russe, à l’époque de plus en plus grandissante. En mars 2023, le militant est invité d’honneur lors de la seconde conférence parlementaire internationale Russie-Afrique qui se tient à Moscou. Au cours de son discours, consacré au « néocolonialisme de l’Occident », il affirme qu’une « guerre des mondes » a lieu entre les puissances occidentales et plusieurs pays qui ont « choisi de se lever » pour s’opposer à cette « hégémonie », tels que « la Russie, la Chine, l’Inde ou encore l’Iran ». Kémi Seba s’est d’ailleurs rendu plusieurs fois à Téhéran pour tenir les mêmes discours anti-occidentaux.  Cette volonté marquée de dénoncer le « néocolonialisme occidental » et en particulier de la France en Afrique et au-delà a attiré plus récemment l’attention d’un nouveau pays, l’Azerbaïdjan.  Depuis le début du mois d’octobre, l’Azerbaïdjan et le Groupe d’Initiative de Bakou s’intéressent particulièrement à Kémi Seba. Probablement dans le radar de Bakou du fait de ses liens avec la Russie, Kémi Seba a été invité à une conférence internationale au sujet de la néocolonisation de la France en Afrique. L’Azerbaïdjan a largement capitalisé sur la venue du militant panafricaniste, en témoigne les nombreuses mentions de Kémi Seba dans la presse azerbaïdjanaise lors de son déplacement. Pour Kémi Seba, activement sollicité par les officiels et les médias durant son voyage, il s’agit d’une nouvelle phase dans l’élaboration de ses liens avec des puissances qui désapprouvent l’hégémonie occidentale. En effet, jusqu’à très récemment, aucun lien significatif n’avait été observé entre le militant et les autorités azerbaïdjanaises. Cette soudaine intensification des contacts, qui ne remonte visiblement qu’au début octobre 2024, ouvre la voie à une collaboration plus proactive dans les mois à venir, comme cela a été vu pour la Russie. Le 2 octobre, lors d’une conférence de presse organisée par l’ONG, devant un parterre de journalistes azerbaïdjanais, Seba a affirmé son soutien à l’Azerbaïdjan dans sa lutte contre ce qu’il qualifie de « politique coloniale de la France ». Ses propos révèlent une volonté claire d’élargir son champ d’action et de tisser des alliances stratégiques au-delà de l’Afrique : « Je suis fier d’être à Bakou, qui est devenu un lieu ambitieux dans la lutte contre la politique coloniale de la France. Je veux que le système français s’affaiblisse ». Le lendemain, la conférence internationale sur « la politique française de néocolonialisme en Afrique » s’est tenue à Bakou, avec la participation du militant. Cet événement souligne l’intérêt croissant de l’Azerbaïdjan pour les questions africaines et son désir de se positionner comme un acteur dans ce débat, toujours dans l’objectif de discréditer la présence de l’Occident et en particulier de la France. Durant son séjour à Bakou, Kémi Seba a visité le service gouvernemental azerbaïdjanais ASAN, démontrant un rapprochement avec les institutions officielles du pays. Il a également visité l’agence gouvernementale DOST en tant que « journaliste », élargissant ainsi son rôle et son influence. Cette série de visites et de rencontres en Azerbaïdjan, concentrée sur une période de quelques jours, témoigne de la volonté de Bakou de dérouler le tapis rouge à Kémi Seba, comme d’autres pays dont les relations sont dégradées avec la France, l’ont fait par le passé. Kémi Seba a également été interviewé sur le plateau de la chaîne CBCTV, l’une des plus importantes du pays et diffusant régulièrement du contenu au sujet des outre-mer français et donnant la parole aux militants indépendantistes. La même semaine, Kémi Seba a également été interrogé par le média turc Anadolu Agency. A noter par ailleurs que sous les vidéos de ces interviews disponibles sur les chaînes Youtube des deux médias, l’usage de bots pour générer artificiellement des commentaires et de l’approbation y est particulièrement visible. Au moment de l’annonce de l’arrestation de Kémi Seba, les azerbaïdjanais ont été parmi les premiers à réagir. Tural Ganjali, membre du parlement, s’est indigné de l’arrestation, partageant une vidéo du média turc TRT sur le sujet (la Turquie ayant des relations très étroites avec l’Azerbaïdjan) avant même la confirmation officielle par les autorités françaises. D'autres profils militants ciblés par l'ONG azerbaïdjanaise L’Azerbaïdjan, via le Groupe d’Initiative de Bakou, apporte un soutien médiatique à Kémi Seba. Mais le soutien de Bakou au panafricaniste et à d’autres militants indépendantistes des outre-mer français ne s’arrête pas là. Dans une interview accordée à l’agence de presse azerbaïdjanaise (APA) début octobre, Kémi Seba évoque de manière ambigüe un soutien azerbaïdjanais qui va au-delà du soutien médiatique : « Permettez-moi de dire que ce soutien ne se limite pas à la médiatisation des problèmes auxquels nous sommes confrontés. L’Azerbaïdjan est avec nous à tous égards ». Dans les outre-mer, en plus des invitations tout frais payés pour venir s’exprimer à Bakou adressées à des dizaines d’élus et membres de partis politiques indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Martinique, Guadeloupe ou encore de Guyane, l’ONG semble mettre la main à la poche pour appuyer son soutien à ces mouvements indépendantistes. Lors d’une vidéo tournée face caméra avec une mise en scène soignée, drapeau azerbaïdjanais et portrait à la gloire du président Aliyev en arrière-plan, une militante indépendantiste kanak exprimait en mars dernier sa reconnaissance envers le Groupe d’Initiative de Bakou, en évoquant « l’apport et le soutien financier » du groupe (0:45). Il n’est toutefois pas possible en source ouverte de déterminer la nature de ce soutien financier, ni ses proportions. A l’instar de Kémi Seba, d’autres profils militants ont été courtisés par l’Azerbaïdjan dans les outre-mer. C’est notamment le cas en Martinique. Francis Carole, élu à l’Assemblée martiniquaise et président du Parti pour la Libération de la Martinique (Palima), a été invité lors d’une conférence à Bakou et ses propos sont régulièrement partagés sur les réseaux sociaux de l’ONG. Un autre profil attire également l’attention, celui de Rodrigue Petitot, alias « Le R ». L’homme est aujourd’hui la figure du mouvement contre la vie chère qui secoue l’île depuis le mois de septembre. Relativement inconnu et au passé sulfureux avec de multiples condamnations pour violences et stupéfiants, Rodrigue Petitot avait été interviewé par la chaîne azerbaïdjanaise CBCTV lors d’un reportage intitulé « Martinique : une île de fleurs dans l’esclavage français », diffusé en octobre 2023 sur l’île et republié sur le compte Youtube de la chaîne en mai dernier. Depuis le début des émeutes en Martinique, le Groupe d’Initiative de Bakou a à nouveau relayé la parole de Rodrigue Petitot et de son mouvement le RPPRAC. Ces exemples en Martinique montrent cette volonté de l’Azerbaïdjan de nouer des contacts directement sur place, afin d’exploiter leur influence à l’avenir. Cela permet à chaque parti de s’y retrouver : Les militants indépendantistes y gagnent à minima un soutien médiatique, et ces derniers permettent pour Bakou de légitimer son engagement dans sa lutte contre le « néocolonialisme français », dans le but conjoint de contester la place de la France dans les territoires d’outre-mer. Passer par des acteurs locaux pour combler une stratégie de communication numérique à la peine Depuis plus d’un an, le Groupe d’Initiative de Bakou s’affaire donc à être le porte-voix des mouvements indépendantistes des outre-mer français. Néanmoins l’efficacité de la communication de l’ONG semble avoir une efficacité relativement limitée. Un an après la création de ses réseaux sociaux, le Groupe d’Initiative de Bakou rassemble 13.000 abonnés cumulés sur les principales plateformes (Facebook, Instagram et Twitter), et ce malgré des publications quotidiennes, la réalisation d’infographies, de montages, de vidéos, ect. De plus, si les publications se font majoritairement en français, il apparaît que l’audience de celles-ci soit largement azerbaïdjanaise. En effet, dans les engagement des publications, les noms à consonance caucasienne prédominent de façon significative. Les différences parfois étonnantes dans le nombre d’engagements des publications, sur Facebook et encore plus sur Instagram (où si la majorité des publications tournent autour de 70/90 likes, sporadiquement certaines dépassent la barre des 500 et même 700 likes), laissent à penser que ces publications sont partagées dans des boucles azerbaïdjanaises pour maximiser l’engagement, à défaut de susciter l’intérêt du public francophone. Le fait que le communiqué de soutien à Kémi Seba publié sur Facebook ait rassemblé plus de 300 likes moins de 45 minutes après sa publication tend également à confirmer l’hypothèse d’un engagement non naturel. A noter qu’une partie importante des profils qui réagissent à ces publications postent eux-mêmes des contenus à la gloire du président Aliyev. Sur certains comptes, ces publications sont si nombreuses qu’il est très probable qu’il s’agisse de bots. Une pratique guère étonnante, des bots avaient déjà été utilisés pour diffuser du contenu hostile à la police en marge des émeutes en Nouvelle-Calédonie.
Dès lors, il est probable que parmi ces 12.000 abonnés cumulés sur les réseaux de l’ONG, la part des profils n’étant ni des bots, ni des ressortissants azerbaïdjanais est vraisemblablement très faible. L’Azerbaïdjan privilégie donc d’autres moyens, l’invitation d’élus locaux et l’usage de relais d’influence via les militants indépendantistes, pour toucher la population des outre-mer.
– TheoTFD & Spidacr